art préhistorique

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Vivien Riout – Le Mastodonte des Pyrénées: récit d’une découverte

      juin 2015 

          Par

  Vivien  Riout

La découverte de l'image, un progrès pour la chasse

 

 

 

 

Etre capable de trouver une proie est essentiel pour un prédateur.

Certains types de chasse nécessitent également d'être en mesure de suivre sa proie si elle a échappé à l'attaque et si elle n'est que blessée.

Les mammifères sont capables de flairer le passage d'un animal, de reconnaître le goût du sang qui s'échappe d'une blessure, de toucher une proie sous l'eau, d'entendre ou de voir la proie convoitée à des centaines de mètres mais aucun excepté l'homme, n'est capable de reconnaître une empreinte, d'identifier une voie et de suivre une piste.


Nous retiendrons comme définition de l'image, celle de Marc Azéma: (...)la représentation/production d'une chose issue du monde réel ou mental(...).


Ainsi, l'animal à son insu produit des images en laissant une représentation en négatif de son sabot ou de sa patte.



A quel moment de son évolution l'homme a-t-il eu les capacités cognitives pour savoir déchiffrer les empreintes?

Nous ne le savons pas, mais pouvons imaginer la révolution que cela a représenté.

L'homme est le seul animal à pratiquer la chasse à l'épuisement, ce mode de chasse consiste à courir après une proie jusqu'à ce qu'elle meure d'un coup de chaleur, l'homme, régulant sa température par la transpiration ne se met pas en danger.

Perdre de vue sa proie ne serait-ce qu'un instant peut anéantir des heures d'effort.

La capacité de suivre une piste composée d'empreintes a été un avantage sélectif certain.


L'homme a soudain eu accès a un livre ouvert dont il a appris à déchiffrer les caractères et il a étudié le sens de ces traces au point d'en faire une véritable proto-science, celle du pistage, qu'il a transmis de génération en génération.



L'ichnologie, la science des traces a son vocabulaire propre, nous l'adopterons pour plus de clarté.


Une empreinte est la trace laissée sur le sol( que ce soit de la terre,du sable ou de la neige) par le pied ou la patte d'un animal.

 

 

                                                                           

                                                                  empreinte d'une patte de phoque

 

 

La voie est l'ensemble des quatre empreintes des quatres pieds de l'animal, qui ont été posés successivement.


 

 

 

                                                                                            voie de sanglier


La piste est une succession de voies.

 

                                                                                  piste d'un animal au galop



Les principales allures sont le pas, le trot, le galop et le bond.

A chaque allure correspond un type particulier de voie.

Au premier coup d’œil, le pisteur exercé peut reconnaître l'allure de l'animal et bien plus encore:

la direction qu'il a pris, son poids, son sexe, son âge, son état de santé, son "état d'esprit",avait-il un comportement calme? Fuyait-il? Était-il poursuivi?


D'après Michelle Theurien: « La trace au sol condense sur une surface minime, une somme considérable d'informations ».



la piste: une échelle de temps et une décomposition du mouvement


Tous les animaux d'une même espèce ont la même vitesse au pas, par exemple 3,6km/h chez le boeuf.


Les empreintes représentent un déroulement dans le temps.


Les écarts entre les voies sont des distances mais peuvent être interprétées en échelle de temps.


Pour un individu d'une espèce donnée qui marche au pas, une piste nous donne une échelle de temps très exacte, c'est une véritable pendule pédestre, un instrument de mesure du temps entre plusieurs séquences que sont les voies.


A chaque allure correspond une séquence de pose des pattes au sol bien précise.


Les chasseurs paléolithiques ont étudié la décomposition du mouvement aux différentes allures afin de mieux pouvoir décrire le comportement de l'animal traqué.


Le premier contact de l'homme avec l'image a été d'emblée en lien avec le temps et le mouvement.


Prenons une chronophotographie de Marey sur le cheval, si l'on efface le corps et les pattes du cheval pour ne garder que les sabots, qu'obtient-on?

Une piste.


Le préhistorien Marc Azéma a mis en évidence l'utilisation de la narration graphique dans l'art pariétal. Selon lui, nombre de représentations pariétales répondent aux quatre niveaux d'exigence ennoncés par Philippe Sohet pour être qualifié de narration iconique.


La piste animale répond aux quatre niveaux d'exigence de la narration iconique définis par Philippe Sohet:


  • la figuration: il y a une représentation analogique, l'empreinte est le dessin négatif du pied

  • la co-relation: les empreintes sont disposées deux à deux de chaque coté de l'axe de symétrie bilatéral de l'animal. Dans chaque voie les empreintes ont une place différente et permettent d'identifier une allure.

  • La consécution: chaque voie marque un laps de temps borné par la pose du premier et du dernier pied. La succession des voies marque la temporalité.

  • L'intrication: nul chasseur ne peut prédire ce que sera la voie suivante, ce n'est pas une suite arithmétique, il n'y a pas de prévision certaines du comportement de l'animal; ce dernier pouvant trotter, bondir, accélérer.... En cela il y a une intrigue.




La compréhension de cette narration graphique d'origine non-anthropique a représenté un avantage évolutif certain. L'homme est le seul animal à pouvoir lire une piste.



L'animal marque le sol de son absence par l'empreinte, la portée symbolique de l'empreinte est très forte.

La représentation de mains négatives ont peut-être plus de sens dans une société de chasseurs dont la subsistance est liée à la compétence de leurs pisteurs.

 La plus vieille image produite par l'homme ( à notre connaissance),  est cette main négative, datée de 40 000 ans, sur l'île de Sulawesi en Indonésie.



Si vous demandez à votre voisin de dessiner l'empreinte d'un sabot de cheval il dessinera certainement un U. Mais il y 20 000ans les chevaux n'étaient pas ferrés et leurs empreintes ressemblaient trait pour trait aux vulves peintes de la grotte de Tito Bustillo en Espagne.

 

 

 


 


                                                                                          Empreintes de cheval

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                      Peintures de la grotte de Tito Bustillo                                             




 La coïncidence n'a pu échapper à l'artiste qui avait du recevoir une solide formation de pisteur comme tous ceux de son groupe.


La narration graphique n'est pas une invention de l'homme.

Ce dernier a appris à la déchiffrer, à s'approprier ses codes et s'essayer lui même à la mettre en œuvre.

Ces capacités cognitives ont été acquises car elles ont accru les chances de survie des individus.

En dehors d'un contexte de chasse, elles ont permis certaines expressions artistiques.

L'art est certainement devenu par la suite un facteur de cohésion sociale qui présentait également un avantage adaptatif.


 

L'ensemble stylistique le plus ancien de l'Australie, appelé le Panamitee "(...) fut défini à partir des quelques dix milliers de gravures qu'il offre. Il s'agit d'un art gravé-piqueté, le plus souvent sur des sols rocheux, d'empreintes ( et de pistes) d'animaux (près de deux tiers des représentations) (...) " (Vialou. 2006)

Cela nous conforte dans l'idée que la découverte de l'image fut liée aux connaissances cynégétiques des hommes du paléolithique.

Nous n'ignorons pas que des supports périssables ont certainement accueilli les premières œuvres du paléolithique, mais l'archéologie n'en révèle aucune preuve d'existence.

 

 

 

 

L'empreinte n'est pas plane mais marquée de reliefs qui apporteront leur lot d'informations(poids de l'animal par exemple).


Le chasseur est donc très attentif à la force du trait donné par l'auteur à l'aide de son outil, ici l'animal est l'auteur et son sabot son outil de gravure.

Si ce chasseur devenait artiste, nul doute qu'il prêterait grandement  attention à l'épaisseur des traits qu'il appliquerait sur une paroi.


 Alessandro Pignocchi chercheur en sciences sociales cognitives et philosophie de l'art, dans son ouvrage " L'oeuvre d'art et ses intentions" explique comment le public d'une oeuvre recherche l' intention de l'auteur à travers l'étude (souvent inconsciente) du geste dans le trait. Cette démarche peut être d'un intérêt vital pour le chasseur, dont la survie peut dépendre du succès d'une traque.


A la manière d'un profiler, le chasseur se met dans la peau de l'animal.

Les légendes Inuits Nunavimmiuts disent que pour "(...) pénétrer le monde animal, partager la vie des ours ou des loups, connaître les configurations de leur organisation sociale et leur écononomie (ce dont les humains sont curieux), il suffit(...) d'emprunter les traces animales(...) Cela permet au chasseur de franchir la frontière qui le sépare de l'animal." (Therrien 1990).


 


 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie:


    Azéma, M.(2011). La Préhistoire du cinéma. Origines paléolithiques de la narration graphique et du cinématographe... Ed Errance, 293p et un DVD


    Bang P. et Dahlstrom P, 1999. Guide des traces d'animaux. Les indices de présence de la faune sauvage.Delachaux et Niestlé.coll. Les guides du naturaliste. 264p.

 

  Pignocchi Alessandro: L'oeuvre d'art et ses intentions. Ed Odile Jacob 2012

 

  Sohet P., 2007, Images du récit, Presses de l'Université du Québec, 356p

 

  Therrien Michèle: Traces sur la neige, signes sur le papier.Signification de l'empreinte chez les Inuits Nunavimmiut(Arctique Québécois). Journal de la société des américanistes.1990 Vol 76


   Vialou D. (2006). La Préhistoire, L'univers des formes, éditions Gallimard, 433p


 

Dessins et texte: Vivien Riout